La « Lakers Nation » aperçoit une lueur au bout du tunnel. Les cinq dernières années ont éprouvé la patience de ses fans. Le départ de Phil Jackson en 2011, le décès de son propriétaire historique Jerry Buss en 2013, le tour d’honneur interminable de Kobe Bryant lors de la saison passée : il ne manquait que la vidéo douteuse de Nick Young enregistrée à son issue par son coéquipier D’Angelo Russell en 2016 pour toucher le fond. Et le fond fut touché :
Quelques semaines après avoir confirmé que la légende Earvin "Magic" Johnson Jr. travaillerait comme consultant pour l’équipe, les Lakers ont décidé de le nommer président sportif (« President of Basketball Operations »). Sont remerciés pour leurs bons et loyaux services, ainsi que les performances catastrophiques de l’équipe, John Black son vice-président chargé des relations publiques (27 ans au sein de l’équipe), Mitch Kupchak son directeur général (36 ans en tant que joueur et responsable) et Jim Buss, son vice-président exécutif pendant 12 ans et membre de la famille propriétaire du club.
Comment expliquer ce grand coup de balai ? En plus des résultats factuels de l’équipe, considérez seulement le sommet de l’iceberg. Seize fois champions, les Lakers ont été incapables de signer des joueurs de gros calibres. Pour ne citer que quelques noms de ces dernières années : LaMarcus Aldridge, Kevin Love, Kevin Durant, Russell Westbrook et cette semaine DeMarcus Cousin et Paul George. Aucun d’entre n’a choisi de poser ses valises à Los Angeles malgré son histoire glorieuse et ses opportunités extra-sportives (médias, investissements). Les raisons sont multiples. Les autres équipes, même sur des marchés plus petits, ont été capables d’offrir des gros contrats à ces joueurs. De plus, les stars n’ont plus besoin de s’associer à de grosses franchises au passé encombrant pour être connectés à leurs fans et aux sponsors, médias sociaux obligent.
Jim Buss, "out" (crédit : Jae C. Hong / Associated Press)
D’autres problèmes ont contrarié les plans des Lakers. Un nom les symbolise : Jim Buss. Son incompétence et manque d’implications personnelle dans les affaires de l’équipe sont proverbiaux. Protégé par son clan familial, c’est sous sa direction que l’équipe a vu cinq coaches s’enchaîner en six ans. Le limogeage de Mike Brown après cinq matchs de la saison 2012-13 et le choix de Mike D'Antoni au lieu de Phil Jackson sont restés dans les mémoires. Il a directement provoqué le départ précipité du pivot Dwight Howard et l’encrage de l’équipe sur un Kobe Bryant en fin de carrière, blessé, possessif et surpayé. La progression des jeunes joueurs accumulées à chaque draft en a pâti pour aboutir au résultat médiocre que l’on connait. Mitch Kupchak aura été longtemps sa caution morale, lui l’élève du joueur et coach Jerry West (Mr Logo sur la NBA), le stratège qui transféra Pau Gasol de Memphis à Los Angeles. La mauvaise gestion de l’équipe dont il est co-responsable aura finalement été un repoussoir à talent, l’état actuel de l’équipe en étant la preuve.
Au décès de Jim Buss, détenteur des deux tiers de l’équipe, ses six enfants ont hérité à part égale de sa propriété et ses droits de vote. Mais c’est Jeanie Buss, 3eme enfant de Jim, qui a été intronisée responsable de l’équipe et qui la représente auprès de la fédération. En 2014, Jim Buss s’était engagé à changer la fortune de son équipe et à la rendre compétitive sous « trois à quatre ans ». Mission échouée. Le 21 février, Jeanie a finalement décidé de changer de cap et prendre la décision qui s’imposait. « Elle fut probablement si difficile pour moi que j’ai attendu trop longtemps. Et pour cela, je m’excuse auprès des fans des Lakers. » Ironie du sort, le grand ménage qu’elle opère ne se cantonne pas à la sphère professionnelle. Le 28 décembre, Phil Jackson et elle annonçaient leur séparation après 17 ans de collaboration et 4 ans de fiançailles. Voilà un couple bien étrange : elle en charge d’une équipe légendaire, lui ex-coach dans le « hall of fame » de la NBA et cinq fois victorieux avec les Lakers, chacun président d’une équipe de la NBA depuis 2014 et donc à la limite du conflit d’intérêt, l’un à New York et l’autre à L.A. (5 heures de vol…), respectivement première et seconde valorisation de la ligue d’après Forbes… et toutes deux dans la tourmente. Tout cela est fini. Jeanie semble avoir bien reçu le message subliminal de Shaquille O'Neal, ex-star des Lakers, lui recommandant de savonner activement sa vie et de se débarrasser de tout ce qui l’entache.
Thank you Shaquille!! @SHAQ The biggest bar of soap I have ever seen. #NowWeKnow #Lakers love! <3 <3 O pic.twitter.com/dSY4vIiHm9
— Jeanie Buss (@JeanieBuss) 23 December 2016
(Vous admirerez la photo de profil de Jeanie Buss : le basketball, la famille Buss et le « show time », c’est aussi cela.)
L’arrivée de Magic Johnson à la tête des Lakers est légitime. Elle était aussi prévisible. Il est une star immense à Los Angeles, brillant, charismatique, cinq fois champion NBA avec une seule et même équipe. Son style de jeu a révolutionné le basketball et le « show time » des années 80 nourrit encore la nostalgie de plus d’un fan. Il a même été coach de l’équipe en 1994. Son numéro, le 32, a été retiré et on peut même trouver sa statue face au Staples Center, le stade des Lakers. A plus d’une reprise, il a utilisé de son influence pour attirer des joueurs de talent, sans succès d’ailleurs. Il est aussi important de noter que Magic Johnson n’est pas un simple ex-joueur. Il est aussi un homme des médias sportifs américains et un entrepreneur accompli. Ne serait-ce que dans le milieu sportif, il a été co-propriétaire des Lakers entre 1994 et 2010. Il est actuellement membre d’un groupe d’investissement ayant acheté les Los Angeles Dodgers (baseball) en 2012 et en 2014, les Los Angeles Sparks (WNBA, championne 2016).
Magic Johnson peut aussi s’inspirer de nombreux joueurs de sa génération qui sont passés des parquets de la NBA aux bureaux d’une franchise. De Michael Jordan, actuellement propriétaire, président et ex-président sportif des Charlotte Hornets, c’est l’humilité qui pourrait apprendre. L’équipe de Charlotte détient le record de la plus mauvaise saison de l’histoire de la NBA (10,7% de victoires en 2011-12). Les choix de personnel, joueurs et encadrement, faits par « His Airness » ont souvent été critiqués, un grand joueur n’étant pas forcément un bon juge des personnalités et des talents qui l’entourent. Par ailleurs, les positions inflexibles de Jordan et d’autres propriétaires d’équipe en 2011 ont été en partie responsables de l’échec des négociations entre la ligue et les représentants des joueurs, conduisant à une grève et une saison réduite de 82 à 66 matches en 2011-12. Ceci explique probablement pourquoi Magic Johnson s’est empressé de déclarer qu’il allait étudier le nouvel accord collectif signé en fin d’année dernière…
Danny Ainge, patron des Boston Celtics
Autres modèles pour Johnson : ses anciens ennemis des Boston Celtics, à savoir la légende Larry Bird, son ami proche depuis, directeur général des Indiana Pacers (l’unique ex-MVP, ex-coach de l’année, ex-executif de l’année à la fois) et Danny Ainge, actuellement directeur général et président sportif des Celtics. D’eux, Johnson pourrait apprendre la patience. Pour preuve, la fin de la période des échanges de joueurs le 23 février 2017. Beaucoup s’attendaient à ce que les Pacers se séparent du All-Star Paul George alors que l’équipe, excellente sur le papier, n’a pas vraiment réalisé ses promesses (30 victoires, 28 défaites cette année). De même, les Celtics ont accumulé les sélections dans les drafts à venir, notamment grâce à des échanges avec les Brooklyn Nets dont les résultats médiocres garantissent des joueurs dans le Top 3 de la draft en 2017 et 2018. L’équipe a également développé le talent de ses joueurs comme le meneur explosif Isaiah Thomas (29,7 points et 6,3 passes décisives par match à 1,75m seulement), le défenseur devenu arme offensive Avery Bradley, Marcus Smart dont on excuse aisément la coupe de cheveux tragique. On pourrait ajouter à cette liste le jeune coach de l’équipe, Brad Stevens. Tant d’atouts, de flexibilité financière et pas de transfert ? Magic, prends des notes ! La logique des Celtics est simple : pourquoi mettre à mal une saison déjà très réussie ? L’intersaison 2017-2018 permettra à l’équipe d’ajouter le joueur qui lui manque pour menacer durablement la suprématie des Cleveland Cavaliers dans la conférence est. Voici quelques noms de joueurs performants disponibles cet été qui répondraient au besoin de Danny Ainge : Gordon Hayward, Paul Millsap, Blake Griffin. Rien de moins. Egalement LeBron James et Kevin Durant et là, on en doute.
Effort, humilité, patience, finesse tactique dans une ligue où la masse salariale est plafonnée. On comprend que le métier de responsable d’une équipe ne s’apprend pas du jour au lendemain. Les Lakers vont devoir appliquer ses principes et Magic Johnson le sait bien :
Magic on rebuilding the Lakers: "It’s not a quick fix. I’m not a quick fix. I can’t turn it around tomorrow” (@SpectrumSN)
— Lakers Nation (@LakersNation) 21 February 2017
A son arrivée à la tête des Lakers, voici l’état de l’équipe :
- Quelques victoires de qualité face à des grosses équipes en début de saison : Houston, Atlanta, Golden State, Oklahoma City,
- Un vague espoir d’accrocher la 8eme et dernière place qualificative pour les Playoffs jusqu’à la mi-décembre 2016,
- 18 février : défaite 97 – 96 perdu contre les Kings face un stade plein (20 000 spectateurs),
- 19 février : défaite 137-101 contre les Suns et un Eric Bledsoe en feu (triple double),
- 24 février : défaite 110 – 93 contre les Thunders d’Oklahoma City et 17 points, 18 rebonds, 17 passes décisives de la part de Russell Westbrook,
- Parmi les dix matchs à venir sur les 22 qui leurs reste à jouer : San Antonio (2nd de la conférence ouest), Boston (2nd de la conférence est) et d’autres équipes comme New Orleans, Denver, Milwaukee et Houston qu’on voit mal les Lakers battre.
Lou William transféré: le sabordage de la saison peut commencer
Quelles ont été les premières mesures prises par Johnson ? Tout d’abord, communiquer. L’attente des fans est telle qu’il est nécessaire de leurs rappeler que Luke Walton et son équipe rateront à nouveau les playoffs cette année. En réalité, ils ne doivent y parvenir sous aucun prétexte afin de maintenir les Lakers en bas de classement et leurs permettre de sélectionner l’un des trois meilleurs jeunes joueurs de la draft 2017. Saborder la saison en cours est officiellement l’objectif premier. Le 23 février, cette décision s’est concrétisée par le transfert de Lou William vers les Rockets en échange de Corey Brewer et une sélection dans le premier round de la draft 2017. Ainsi, les Lakers ont cédé leur 6eme homme, leur joueur le plus efficace et leur meilleur marqueur en une signature. Le message est clair. Par ailleurs, ils devraient le voir s’intégrer parfaitement au système « run & gun » de Mike D’Antoni à Houston. Son premier match réussi face aux Pelicans d’Anthony Davis et DeMarcus Cousin semble le confirmer avec 27 points dont 21 à trois points (7 sur 11). Autre transfert entre les deux équipes : le brésilien Marcelo Huertas rejoint Houston en échange les droits sur Brad Newley qui joue actuellement à AEK d’Athènes et de Tyler Ennis. Ce jeune meneur canadien peu productif ira cirer le banc des Lakers avec son short jusqu’à la fin de la saison.
Le reste de l’équipe ne fait pas rêver. Les plus gros salaires (plus de 16m$ par an) sont ceux de Luol Deng, ailier, 31 ans et loin de ses années les plus productives à Chicago et Timofey Mozgov, pivot, 30 ans, massif dans la raquette mais faible dans toutes les catégories statistiques. Tous deux sont sous contrat jusqu’à la saison 2019-20. Il en va de même pour Jordan Clarkson, arrière remplaçant, qui voit sa production baisser dans sa troisième année dans la NBA à 13,7 points par match et 32,9% seulement à trois points et dont l’espoir actuel est d’en faire un défenseur tenace à la périphérie.
D'Angelo Russell, potentiel All-Star ou pas ? La question n'est pas encore tranchée
Le reste du cinq majeur et joueurs dans la rotation de l’équipe inclut le meneur D'Angelo Russell, l’arrière Nick Young (participant au concours à trois points durant le All-Star week-end), Julius Randle en avant-fort, le rookie Brandon Ingram qui devrait profiter du départ de Lou William pour gagner des minutes de jeu (Corey Brewer étant désormais la 3eme option au poste d’ailier) et Larry Nance. Tous ces joueurs sont encore sous contrat de débutant pour des salaires relativement faibles (au plus 5,5m$ par an) et soumis à des options de continuation ou des offres qualifiantes de l’équipe dès la saison 2018-19. Nick Young est l’exception car il peut décider d’interrompre son contrat à la fin de cette saison, laisser 5,6m$ sur la table et se trouver une nouvelle équipe.
Nick "Swaggy P" Young (crédit : Kirby Lee-USA TODAY Sports)
Pour faire court, Magic Johnson a entre les mains des joueurs prometteurs mais relativement peu efficaces (leur PER - "Player Efficiency Rating" - est inférieur à 16, donc aucun dans le Top 100 de la NBA). Leur contrat facilite leur transfert cet été ou durant la première moitié de la saison 2017-18. A l’inverse, les vétérans de l’équipe posent problème et on ne vous parle pas de Metta World Peace, encore payé 1,5m$ cette année, pour faire… difficile à dire, l’enquête piétine.
Autre décision de Magic Johnson : appointer Rob Pelinka au poste de directeur général. Cet homme est le PDG de The Landmark Sports Agency, une société de gestion d’athlètes. Il connait donc parfaitement des rouages de la sélection de joueurs et de la négociation des contrats. Il est aussi familier des Lakers car son client le plus proéminent est… Kobe Bryant, jeune retraité des Lakers où il a réalisé l’intégralité de sa glorieuse carrière. Il y a quelques semaines, Magic Johnson avait déclaré publiquement son désir de travailler avec Bryant pour relever la franchise californienne de ses cendres. L’un de ses proches sera donc de l’aventure, certainement sous influence télécommandée de Bryant lui-même. Le choix peut avoir déçu les fans mais il est sage. Bryant aura besoin d’observer dans l’ombre la mécanique interne d’une équipe avant de s’y engager directement et possiblement de ternir sa réputation, comme cela a été le cas de Michael Jordan à Charlotte.
James Harden, client de Rob Pelinka
La liste des clients article de Rob Pelinka est intéressante et, sauf conflit d’intérêts punissable par la ligue, donne une idée des joueurs qui pourraient rejoindre les rangs des Lakers, version Magic. Parmi eux, rien de moins que James Harden des Rockets, candidat au titre de MVP cette année, son acolyte expert à trois points Eric Gordon et l’excellent Avery Bradley des Celtics, déjà évoqué. D’autres noms intriguent comme Marquese Chriss, sacré rookie du mois en janvier, le prometteur Buddy Hield nouvellement transféré à Sacramento et Dion Waiters dont la montée en puissance cette saison explique en partie le succès récent des Miami Heats.
Magic Johnson aux Lakers, c’est un peu le retour de Jerry Buss, réincarné dans un leader, un entrepreneur et basketteur de légende que Los Angeles adore. Sera-t-il l’homme dont les Lakers ont besoin pour retrouver leur gloire passée ? Les fans en sont convaincus, mais ceux des Knicks l’étaient aussi à l’arrivée onéreuse de Phil Jackson. Après des années turbulentes, la paix des braves entre leur propriétaire et le public newyorkais achetée à prix d’or n’a pas suffi à la franchise. Johnson devra apprendre des erreurs de ses prédécesseurs et s’impliquer vite, fort et sur la durée, chose que Phil Jackson n’a de toute évidence pas fait. Jonglant entre de nombreuses responsabilités professionnelles et notamment dans la ville de Los Angeles, Johnson a beaucoup à perdre s’il devait échouer dans la mission que la famille Buss lui a proposée. Communiquant aguerri, il affirme être prêt à la tâche.
Magic: "We have really good, young talent. We have to develop that young talent. I”m looking forward to getting out on the court with them."
— Los Angeles Lakers (@Lakers) 21 February 2017
Nous le jugerons sur pièces.
Les Lakers sont en fait 19 - 41 après la raclée hier face aux San Antonio Spurs, 119-98. Doublement logique : la différence de talent, l'effet 'tanking'