Le 45eme président des Etats-Unis d’Amérique a été élu le 9 novembre. Donald Trump, personnage publique issu du monde financier et médiatique, est sorti victorieux du processus électoral. L’observateur occasionnel de la vie politique américaine n’aura pas manqué de constater que la campagne a été émaillée de plus d’une controverse. Le représentant de chaque parti aura dû naviguer contre vents et marées jusqu’au jour de l’élection. Mais le candidat républicain, Donald Trump, aura été le plus virulent. Son franc-parler populiste et dérapages répétés ont suscité de vifs débats. Sa présence même dans la course à la présidence a confirmé aux yeux de beaucoup que la société américaine sort plus divisée que jamais des huit ans de présidence de Barack Obama.
La vie politique américaine et l’actualité sportive s’intersectent à plusieurs reprises dans l’année. Les équipes victorieuses des grands championnats (basketball, football américain, baseball…) sont traditionnellement invitées à la Maison Blanche. Le 10 novembre, les Cavaliers de Cleveland, champions NBA 2015-16 ont donc été accueillis par le président Obama, grand amateur de basketball. Un maillot marqué du n°16 pour lui, un discours en l’honneur de l’équipe et un mot d’ordre : « zéro propos sur Trump » d’après ESPN.com. En effet, le jour même, Donald Trump était lui-même présent à la Maison Blanche pour un premier échange avec le président sortant.
Carmelo Anthony, engagé politiquement depuis les incidents entre police et communauté afro-américaine, vu ici à Baltimore en avril 2016. Source : Getty Images
De plus, depuis plusieurs années maintenant, les réseaux sociaux ont offert une plateforme puissante aux sportifs qui souhaitent s’exprimer sur des thèmes politiques. Par exemple, Carmelo Anthony, ailier des New York Knicks, avait pris la parole sur Instagram cet été pour dénoncer les violences policières et engager un dialogue entre la communauté afro-américaine et la police. Ces mêmes réseaux ont été les caisses de résonnance des tweets de Donald Trump jugés discriminatoires ou misogynes. Les minorités dont la communauté afro-américaine ont été particulièrement sensibles à ses propos. Pas étonnant de trouver sur Tweeter, Instagram et autres, les réactions des athlètes de la NBA réagissant au résultat de l’élection. Non seulement les stars de la ligue sont suivies par des millions de personnes mais aussi, les deux-tiers des joueurs de la ligue sont afro-américains. Voici une sélection de quelques réactions présentatives, en général négatives voire amères, de joueurs, coaches et propriétaires de club.
Joel "The Process" Embiid, 22 points, 3 contres contre Lebron James le 5 novembre... et des opinions politiques. Source : AP Photo/Chris Szagola
Les Sixers de Philadelphie auront bien du mal à quitter le bas de classement mais sans les cinq pertes consécutives de ballons dans les dernières minutes de match, ils auraient pu battre les Cavaliers le 5 novembre. Ces dernières années, la patience de leurs fans a été mise à rude épreuve. L'équipe a été accusée de perdre des matchs volontairement (« to tank » en anglais) afin d'augmenter ses chances de sélectionner les meilleurs joueurs débutants de la « draft ». L’espoir fait vivre, dit-on. D’ailleurs, depuis ce début de saison, les prestations du jeune pivot Joel Embiid, sélectionné il y a deux ans mais blessé depuis, ont été impressionnantes. Bien que limité à 20min de jeu par match, le camerounais est le meilleur marqueur et rebondeur de son équipe. Ses « spin moves » à la Hakeem Olajuwon ont à ce point impressionnés les fans qu’ils ont repris les propos d’ex-directeur général de l’équipe, Sam Hinkie, « trust the process », sous-entendu, le processus de développement des jeunes talents de l’équipe, et de Joël Embiid en particulier. Son tweet en réaction à l’élection de Donald Trump prend donc une saveur particulière :
Well America is tanking!!! All we can do is Trust The Process...
— Joel Embiid (@JoelEmbiid) 9 November 2016
C’est fait. Dwyane Wade a coupé le cordon ombilical avec les Miami Heats, l’équipe avec laquelle il y a joué les 13 premières années de la carrière. Malgré une performance personnelle médiocre (13 points, 5 tirs réussis sur 17 tentatives, 7 rebonds, 4 passes décisives), sa nouvelle équipe les Chicago Bulls l’a emporté face aux Heats le 10 novembre. Le chiot sur son post peut faire sourire, Dwyane Wade est dorénavant plus engagé que jamais face à la violence armée dans les rue de Chicago, sa ville natale, et en réaction au résultat de l’élection :
#ElectionDay pic.twitter.com/fzDWcpnJRg
— DWade (@DwyaneWade) 9 November 2016
DeMarcus Cousins, frustration sur le terrain et dans la vie civile. Source : Ed Szczepanski - USA TODAY Sports
DeMarcus Cousins est un pivot dont le grand talent ne permettra pas à son équipe, les Sacramento Kings, de participer aux playoffs. Souvent qualifié de géant débonnaire, peu doutent de sa rage intérieure, qu’elle s’exprime sous forme de fautes techniques (champion 2016), par ses six fautes dans le 4eme quatre-temps face à Miami le 2 novembre ou ses positions politiques. Simple et concis, son tweet n’est assurément que le sommet émergé de l’iceberg de ses émotions :
— DeMarcus Cousins (@boogiecousins) 9 November 2016
Les Golden State Warriors font très attention à leur image : esprit d’équipe, unité, voilà ce qu'il importe de faire transparaître. Leur communication semble contrôlée au point que son meneur et double-MVP Stephen Curry s’exprime rarement sur des sujets polémiques. Sa femme Ayesha, active sur Twitter, apparaît bien souvent comme le relai indirect de ses propres opinions. Quant aux autres stars de l’équipe (Kevin Durant, Draymond Green et Klay Thompson), elles ont été peu visibles durant la campagne électorale. On les espère occupées à résoudre les problèmes de l’équipe : l’alternance de belles performances individuelles (les 13 tirs à 3 points de Curry en un match, le 57% de réussites de Kevin Durant jusqu'à présent) et les défaites cuisantes face aux Spurs (129-100) et, surprise, aux Lakers (117-97). C’est donc à Steve Kerr, le coach de l’équipe, que l’on doit les propos les plus virulents. En son nom-propre ou en tant que porte-parole implicite de l'équipe? On pencherait pour la seconde option. Ainsi, il a déclaré aux médias que Trump aurait utilisé régulièrement « des termes racistes, misogynes et insultants » durant sa campagne. « Le processus entier nous a tous laissé dégoûtés et déçus… je pensais que nous étions meilleurs que cela ».
Début de saison compliqué pour Greg Popovich. Source : Erich Schlegel - USA TODAY Sports
Autre personnalité respectée à s’être exprimée, Greg Popovich. Considéré comme le meilleur coach de la NBA, son équipe est à la peine en ce début de saison. L’insertion de Paul Gasol dans le cinq majeur ne parvient pas à remplacer le grand champion retraité Tim Duncan. De plus, les arrières Tony Parker et Manu Ginobili sont assurément en fin de carrière. Pour la première fois cette année, l’équipe a réussi à jouer avec son effectif complet face aux Rockets de James Harden le 12 novembre. Le poids de la défense externe et de l’offensive semble peser entièrement sur les épaules de Kawhi Leonard. Certes, elles sont larges et ressemblent à celles d’un MVP en puissance. Mais la défaite face à ces mêmes Rockets à domicile à un rebond offensif prêt (10 novembre, 101-99) a certainement fait quelques dégâts psychologiques. Les résultats de l’élection aussi, si on en croit le ton de Greg Popovich. Voici la transcription de ses propos tenus le 11 novembre lors d’un entretien radio sur mysanantonio.com : « Il est encore trop tôt... j’en ai mal à l’estomac. Non pas parce que les républicains l’ont emporté mais à cause de la tenure et du ton répugnants et tous les commentaires qui ont été xénophobes, homophobes, racistes, misogynes… J’éprouve le plus grand respect pour Lindsey Graham et John McCain, John Kasich, avec qui je suis en désaccord sur de nombreux sujets politiques, mais ils avaient suffisamment de substance, de respect pour l’humanité et de tolérance pour tous les groupes [sociaux] pour dire ce qu’ils ont dit à son sujet [de Donald Trump]. Tout le monde souhaite réussir, il s’agit de notre pays, nous ne voulons pas aller à vau-l'eau. Toute personne raisonnable tirerait cette conclusion mais ce n’enlève rien au fait qu’il [Donald Trump] a semé la peur… »
Stan Van Gundy, un coach passionné. Source : Ken Blaze - USA TODAY Sports
Les propos de Greg Popovich sont l’écho policé de ceux de Stan Van Gundy, coach des Detroit Pistons. Son équipe vient d’emporter son premier match à l’extérieur, face des Denger Nuggets. Tobias Harris et Marcus Morris ont du mal à compenser l’absence de Reggie Jackson et les misérables 53% au lancer-franc de son pivot, pourtant excellent, Andre Drummond (35,5% l’an dernier, c’est dire). Une satisfaction temporaire qui ne diminue pas la pression sur les Pistons dans leur course aux play-offs. La région de Détroit, socialement et racialement très divisée, a certainement réagi de façon très variée aux propos de Van Gundy, opposé au candidat républicain. Voici quelques extraits de ce qu’il en dit : « Ce que nous avons fait aux minorités… dans cette élection est méprisable. J’ai du mal à le digérer. Il [Donald Trump] n’est pas un candidat normal… Je ne connais même pas ses opinions politiques. Je ne sais pas, hormis construire un mur et son ‘je déteste les gens de couleur et les femmes sont à traiter comme des objets sexuels et servantes des hommes’. Je ne peux pas passer outre cela. Je ne sais pas comment on peut rentrer dans l’isoloir et voter pour cela ». Un jugement sans appel.
Autre homme riche et de descendance européenne à s’être exprimé : Marc Cuban, le directeur général des Dallas Maverick. A ce stade du processus électoral, l’appel au calme domine ses tweets. L’unité du pays semble être sa priorité mais il s’est exprimé violemment contre Donald Trump durant la campagne le traitant de « menteur superstar », « danger imminent» ou encore « tigre de papier ».
I'm an American citizen First. Last. Always.
— Mark Cuban (@mcuban) 9 November 2016
Certainement rédigé depuis le banc des Hawks d’Altanta, le tweet suivant de Kris Humphries est favorable à Donald Trump. Il en faut bien puisqu’il a remporté l’élection. Il reprend le slogan de campagne du républicain. Probablement en porte-à-faux avec ses coéquipiers, souhaitons qu’il ne ruine pas la bonne entente de l’équipe. Elle a très bien survécu aux départs de Jeff Teague pour les Indiana Pacers (à la dérive) et Al Horford pour les Celtics de Boston (pas aussi dominants qu'espéré). Tout va bien pour les Hawks. L’allemand Dennis Schröder a signé un contrat sur quatre ans (70m$); Dwight Howard reprend de toute évidence plaisir à jouer; Paul Millsap est toujours aussi bon et polyvalent. Résultat : 2 défaites et 7 victoires à ce jour dont une, méritée, sur le parquet de Cleveland le 8 novembre, 110-106 :
Make America great again!
— Kris Humphries (@KrisHumphries) 9 November 2016
Enes Kanter. Source : sircharlesincharge.com
Oklahoma City s’est remis du départ de Kevin Durant. Même si la première confrontation entre les Thunders et sa nouvelle équipe, les Warriors, s’est soldée par une démonstration de force de KD (39 points, 7/11 à 3 points, 7 rebonds) et une lourde défaite (122 – 96), Oklahoma croit en ses chances. Russell Westbrook confirme son statut de prétendant au titre de MVP et vise un nouveau record de triple-doubles. Durant l’intersaison mouvementée, il a montré un comportement modéré face aux médias, tout l’opposé de ses goûts vestimentaires. A l’inverse, ses propos concernant les élections sont sans ambiguïté : « Je n’ai pas vôté pour Trump, c’est tout ce que je vous dirai ». Son coéquipier, le turc Enes Kanter, est allé plus loin, suggérant qu’il était prêt à quitter les Etats-Unis et à accepter un poste dans l’EuroLeague ou en Chine. Son tweet a été éffacé depuis mais il nous reste celui-ci :
I think this is where Donald Trump grows his hair. Lol pic.twitter.com/UB6YDW9LUE
— Enes Kanter (@Enes_Kanter) 7 November 2016
Espérons que son humour passera auprès de ses fans. En effet, Trump a gagné l’ensemble des votes des grands électeurs d’Oklahoma et a reporté 65,3% des suffrages.
Enfin, parlons de Lebron James, le « King » de la NBA. Il est assurément le joueur le plus proéminent de sa génération et le meilleur ailier de l’histoire de la ligue. Sa position politique est claire : il s’est prononcé pour Hillary Clinton, la candidate démocratique, et était même présent lors de son meeting politique à Cleveland. Son post sur Instagram sonne comme une mise en garde. Sur le We’re going to be alright de Kendrick Lamar, il s’adresse aux “minorités et aux femmes”, sujets de propos conversés du futur président américain, ainsi qu'à la jeunesse américaine : « ce n’est pas la fin, il ne s’agit que d’un obstacle très difficile que nous surmonterons... Il est temps de nous éduquer et de faire de mes enfants les meilleurs citoyens modèles qu’ils puissent devenir ».
Concluons ce tour d’horizon par Portland. Les Trail Blazers peuvent compter sur son duo d’arrière, Damian Lillard et C.J. McCollum, pour finir dans le top 4 de la conférence ouest. Ils ont marqué plus de 30 points chacun lors des cinq dernières victoires de leur équipe. Damian Lillard est assurément devenu le leader de son équipe et est adopté par sa ville. Mais cela ne l’empêche pas d’être critique à l’encontre des manifestations violentes anti-Trump qui ont lieu en ce moment. Le samedi 12 novembre, il a déclaré à ESPN : « détruire notre propre ville n’est simplement pas le bon point de départ et aussi, rendre notre propre ville un lieu moins sûr n’est pas la bonne réponse ». En effet, en marge de la manifestation d’hier, un homme a été abattu et, élement clé, sans implication apparente de la police.
Sevyn Streeter et une polémique de plus, entre basketball et politique
Responsabilité individuelle indépendamment du locataire de Maison Blanche, foi en l’avenir, vigilance, appel au calme et à l’unité. Tout est dit. Ou presque puisqu’on peut compter sur les écarts de langage de Donald Trump pour raviver les combats de ceux qui voient dans son programme une menace. Pour ne citer qu’un exemple, considérons le mouvement « Black Live Matters » évoqué dans un article précédent, avec Carmelo Anthony, Chris Paul, Dwyane Wade et Lebron James en figure de proue. Le premier match des Sixers face à Oklahoma City a été émaillé d’un incident dont les répercussions pourraient être très médiatiques selon le cours que prendront les prochains mois. La chanteuse de R&B Sevyn Streeter s’est vue interdite de chanter l’hymne nationale. La raison invoquée par les organisateurs : elle portait un t-shirt disant « We Matter » (nous comptons). Un « We » indéfini mais associé certainement à la communauté afro-américaine dont la chanteuse condamne régulièrement le traitement inégalitaire. Depuis, l’administration des Sixers s’est excusée platement et a invité Sevyn Streeter à venir à nouveau sur son parquet pour chanter « La Bannière Etoilée ». On peut être certain qu’elle choisira intelligemment le bon match, télévisé sur les chaines nationales et en réponse à un évènement qui marquera l’actualité. Ce moment arrivera immanquablement un jour ou l’autre et les Sixers ne pourront pas lui dire non une seconde fois.
PS. Merci à Medjaii pour la relectnre ;)