Le dernier film de Martin Scorsese, Silence, est en salle depuis le 8 février. Les critiques sont généralement bonnes et se traduisent par un score de 83% sur Rottentomatoes, cinq étoiles dans Télérama, Première, quatre dans Le Monde, Ouest France... Cult’n’Click n’a pas encore fait la critique de ce film mais elle ne saurait tarder, sous la forme d’un article ou d’une vidéo.
D’ici-là, c’est au livre que nous vous proposons de nous intéresser. Silence est en effet une adaptation du roman le plus connu de Shusaku Endo (1923-1996). Il fut publié pour la première fois en 1966 et est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du XXème siècle. Pourquoi vous plonger dans les trois cents pages de ce roman au lieu de ou en complément du film ? Voici quelques éléments de réponse.
Martin Scorsese et Andrew Garfield
Un parcours
Il aura fallu à Scorsese 25 ans pour écrire le script du film. Lui qui enfant souhaitait devenir prêtre, lui le réalisateur catholique affirmé, aura attendu ses 72 ans pour débuter le tournage de Silence, en janvier 2015. On l’oublie peut-être mais la création d’un film est souvent le résultat d’une longue maturation. Lorsque le thème abordé touche sa propre sensibilité religieuse, on a beau s’appeler Scorsese, il vaut mieux donner le temps au temps. A bon tweeter, amateur d’instantané, salut. La lecture de Silence vous plongera à la source de l’inspiration du réalisateur américain. Elle vous permettra d’apprécier d’autant mieux sa création cinématographique. Il affirme d’ailleurs l’avoir lui-même lu « un nombre incalculable de fois. »
Se poser les vraies questions
Endo était un écrivain catholique, religion vastement minoritaire au Japon. De plus, les thèmes qu’il aborda dans ses œuvres étaient sujets à controverse : l’ostracisme de la société japonaise, sa relation difficile au catholicisme, sa culpabilité historique durant le XVIIème sc. comme durant la première moitié du XXème sc. Si vous vous considérez comme un citoyen du monde, voilà un exemple de questionnements que ce sentiment peut impliquer : comment s’insérer et partager ses convictions dans une société qui lui sont réfractaires ? Suivant les pas de Saint François-Xavier arrivé au Japon en 1549, les jésuites ont tenté de convertir le pays à la foi catholique, provoquant une série de persécutions dont les convertis et les pères étrangers ont été les victimes. Silence décrit ces événements : martyres pour les uns, actes de justice pour les autres, tortures en tout cas. Sans faire d’Endo un prosélyte chrétien en terre majoritairement shintoïste et bouddhiste, ses écrits ont chahuté la société japonaise au point que, d’après un article du Japan Times, ses propres compatriotes auraient été la raison pour laquelle le prix Nobel de littérature lui aurait échappé en 1994 au profit de Kenzaburo Oe. Tiraillé entre des mondes occidentaux et japonais, Endo affirmait qu’il restait aux hommes la contemplation de leur vraie nature, ce en quoi ils croient et pourquoi. Et de coucher le tout sur le papier, puis sur pellicule.
Adam Driver
Un casting pas catho
Si ce genre de démarche nous parait ésotérique, elle l’a été aussi pour les acteurs de Silence sélectionnés par Scorsese. Certes, on ne refuse pas facilement une offre d’un maître du cinéma mais il raconte que certains acteurs ont décliné les rôles des pères Rodrigues et Garrpe pour cette raison. Andrew Garfield et Adam Driver ne sont pas catholiques. Si ce dernier semble à même d’incarner les rôles profonds, il en est tout autre pour l’ex-Spider-Man. Grace à sa consécration dans La La Land, Emma Stone s’est définitivement détachée de son rôle des productions de Sony de 2012 et 2014. Pour Andrew Garfield, la chose n’était pas encore acquise. Et pourtant, voici le rigolard californien qui perd vingt kilos pour son rôle dans Silence et décrit ce film comme « une méditation et une prière. » Durant un an, il s’est exposé à la vie jésuitique grâce au tutorat du frère James Martin (New York). La relation entre ces deux hommes n’est peut-être pas celle qui unit les personnages de livre, Christophe Ferreira et Sébastien Rodrigues. Mais, une association contre-nature pour un rôle, pour un récit, pour un réalisateur, indépendamment de sa foi, quel dévouement. Feriez-vous de même ?
Réviser son catéchisme
Sans vous en dévoiler l’histoire, disons simplement que Silence relate le voyage de deux jésuites à la recherche de Ferreira, père respecté mais qui aurait pourtant apostasié. Epistolaire puis narratif, il se centre sur le père Rodrigues. Celui-ci part à la recherche de Ferreira. Face aux affres de son parcours, sa foi est tiraillée entre l’orgueil d’accomplir le sacrifice ultime à l’image du Christ et la souffrance que le silence de Dieu provoque, lorsque de simples convertis sont tués à cause de leur croyance.
Vous avez dit « apostasier » ? « Eli, Eli, lama sabachthani ? - Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Pierre, le disciple de Jésus, apôtre, à qui le Christ dit « avant que le coq chante deux fois, tu me renieras trois fois » ? Judas, lui aussi apôtre qui l’a dénoncé et fait arrêter par le gouvernement romain Ponce Pilate ? Gethsémani, le lieu où Jésus a prié avec son arrestation ? Voilà de quoi mettre à l'épreuve vos connaissances. La lecture de Silence n'est pas compliquée en soi mais sa compréhension requiert de compulser de temps à autre Wikipédia ou une bonne vieille encyclopédie.
Liam Neeson en prêtre apostat
Le temps d’une histoire touchante, vous aurez l’opportunité de découvrir ou réviser les fondements de la religion chrétienne : les derniers jours de Jésus de Nazareth, fils de Dieu, son arrestation, son procès et sa condamnation. Rassurez-vous, les Gardiens de la Galaxie 2 sont proches et vous aurez d’amples opportunités de vous détendre les neurones. Mais voici un livre, souvent qualifié de chef d’œuvre, et son interprétation cinématographique par un géant du cinéma qui vous offriront un éclairage utile sur l’un des mythes fondamentaux de notre civilisation. Alors, que vous soyez athéistes, agnostiques, sceptiques ou croyants, quelle que soit votre religion, pourquoi ne pas lire Silence ?